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MONTESQUIEU

et, si chacun veut rappeler sa mémoire, il trouvera que presque toutes les choses qu’il a vues, dans sa vie, généralement prévues ne sont point arrivées.

Que si, d’un autre côté, on consulte les histoires, on ne trouvera partout que de grands événements imprévus.

Lorsque Henri VIII eut détruit, dans ses états, la religion qui reconnoît un chef visible, il crut n’avoir fait que secouer un joug qui s’étoit appesanti par préférence sur l’Angleterre. Devenu lui-même chef de l’église qu’il avoit faite, dispensateur des dépouilles de l’ancienne, il n’y eut personne qui ne pensât que sa puissance étoit augmentée. Non ! Dès que les esprits, autrefois réprimés, se virent en liberté, ils donnèrent dans le fanatisme et l’enthousiasme. Bientôt, ils ne reconnurent plus de puissance et s’indignèrent contre les loix mêmes. Un reste du ton ancien se maintint un peu sous les trois enfants de Henri VIII ; mais Jacques Ier ne trouva plus que le fantôme de la royauté ; Charles Ier fut porté sur un échafaud. Je tais tous les malheurs qui ont suivi.

Qui auroit dit aux Huguenots qui venoient avec une armée conduire Henri IV sur le trône que leur secte seroit abattue par son fils et anéantie par son petit-fils ? Leur ruine totale étoit liée à des accidents qu’ils ne pouvoient pas prévoir.

Qui auroit dit au grand Gustave qu’il étoit destiné à de si grandes choses ? Ce prince, qui n’avoit rien pour lui que son courage, roi d’une nation éloignée, pauvre, et qui, sortant de l’esclavage des Danois, n’avoit aucune réputation dans l’Europe, s’offroit,