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Page:Montesquieu - Mélanges inédits, 1892.djvu/239

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RÉFLEXIONS SUR QUELQUES PRINCES

Enfin, Louis avoit de la finesse ; Tibère, de la profondeur. On pouvoit, avec peu d’esprit, se défendre des artifices de Louis ; le Romain mettoit des ombres devant tous les esprits et se déroboit à mesure qu’on commençoit à le voir.

Louis, qui n’avoit pour art que des caresses fausses et de petites flatteries, gagnoit les hommes par leur propre foiblesse ; le Romain, par la supériorité de son génie et une force invincible qui les entraînoit.

Louis réparoit assez heureusement ses imprudences, et le Romain n’en faisoit point.

Celui-ci laissoit toujours dans le même état les choses qui y pouvoient rester ; l’autre changeoit tout avec une inquiétude et une légèreté qui tenoit de la folie.

III

Philippe II me paroît encore fort inférieur à Tibère. Avec de la patience, de l’inflexibilité, de la philosophie, de l’ambition, ce prince parut dans le monde. Il avoit de vastes désirs, comme s’il étoit idolâtre de la Fortune, et de la modération dans les revers, comme s’il la méprisoit. Mais le mélange de ses défauts et de ses bonnes qualités étoit tel, qu’il étoit difficile qu’il eût jamais de certains succès, et c’est, de ces mélanges différents, bien ou mal assortis, qu’il arrive que des gens qui semblent nés pour faire de grandes choses n’en font point, et que d’autres, qui paroissent ne devoir être que des hommes médiocres, font de si grandes choses.