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LETTRES DE XÉNOCRATE


A PHÉRÈS
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LETTRE PREMIÈRE


Vous voulez, Phérès, que je vous parle du prince qui règne à Sicyone ; je vais vous dire ce que j’en sais.

Alcamène est né avec un génie supérieur, et, cependant, il est soumis à l’ascendant de tout autre génie.

Il a peu de défauts qui partent d’un mauvais naturel ; son esprit y entre toujours pour beaucoup, et son cœur, pour peu de choses.

Il a un certain goût malade qui le porte à se montrer pire qu’il n’est ; le caractère de son esprit, à l’égard des vices, est de chercher à paroître en avoir, comme un témoignage de liberté et d’indépendance.

Il a pour les hommes un souverain mépris ; il croit aux talents, et il ne croit point aux vertus.

Cela fait qu’il ignore absolument cette distance infinie qu’il y a entre l’honnête homme et le méchant, et tous les différents degrés qui sont entre ces deux extrémités.

Auprès de lui, le privilège qu’a la vertu, c’est qu’elle ne nuit pas.