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LETTRES DE XÉNOCRATE

chargé de toutes les fautes de l’armée et de la Cour. Ici, la Cour et l’armée se chargent de toutes les fautes pour absoudre le général.

Le feu Roi avoit mis un prince de sa maison sur un trône voisin. Il avoit envoyé une grande armée pour l’y soutenir. Il en donna le commandement à Alcamène. Dans toute celte armée, Alcamène fut seul malheureux : il arriva trois jours après la victoire. Il sentit son infortune, et ne sentit pas autre chose. Il fit bien voir que la victoire avoit été gagnée sous ses auspices ; il eut la gloire de n’envier celle de personne. Il n’avoit point vaincu ; mais il sut profiter de la victoire. Telle fut la magie de l’amour qu’on lui portoit : personne ne fut content de sa propre gloire, s’il ne voyoit celle d’Alcamène.

LETTRE CINQUIÈME

Alcamène vient de mourir. Ce prince, qui ne cessoit de faire des projets pour l’avenir, abrégeoit sans cesse sa vie et se déroboit ses jours.

Il a été frappé d’une maladie mortelle dans un temps où il n’avoit auprès de lui aucun des siens. Tout le monde est accouru. On l’a trouvé baigné dans son sang, et dans l’état du monde le plus triste.

Chaque Sicyonien croyoit qu’Alcamène avoit dans ses trésors tout ce qu’il avoit perdu. On ne lui a trouvé ni or, ni argent : les vices des petites âmes n’étoient point les vices d’Alcamène.