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HISTOIRE VÉRITABLE

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PREMIÈRE PARTIE

On célébroit tous les ans, dans la ville de Thèbes, la fête de Bacchus pendant trois jours. Les citoyens donnoient des festins et se faisoient gloire d’y appeler des étrangers. Une ancienne coutume obligeoit ceux-ci de raconter à leurs hôtes ce qu’ils savoient de plus extraordinaire. Il y avoit, pour cet usage, un motif général et un motif particulier : on vouloit instruire les citoyens, et on vouloit engager les convives à conserver quelque modération dans les plaisirs mêmes, chacun sachant qu’après le festin il devoit être en état de parler et d’écouter.

Dioclès, un des principaux citoyens, avoit invité cette année Ayesda, voyageur indien, et Damir, philosophe d’Éphèse. Vers la fin du festin, Ayesda fut prié de parler. Il commença ainsi, et son début ne laissa pas que d’étonner la compagnie :

« J’étois, sans contredit, le plus grand fripon de toutes les Indes, et, de plus, valet d’un vieux gymnosophiste, qui, depuis cinquante ans, travailloit à se procurer une transmigration heureuse, et, par ses rudes pénitences, se changeoit en squelette, dans ce monde, pour n’être point transformé en quelque vil