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Page:Montesquieu - Pensées et Fragments inédits, t1, 1899.djvu/25

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qu’il apporte dans la construction de ses phrases, autant que dans la composition même de ses œuvres.

Pour bien apprécier le grand prosateur, il importe de lire ses écrits à haute voix, comme s’il s’agissait d’un poème, de La Divine Comédie, par exemple. Ce procédé a un double avantage. Une lecture ralentie permet de saisir plus aisément toutes les idées qui se suivent, drues et serrées, dans une langue parfois trop concise. Mais, surtout, on jouit mieux ainsi de l’œuvre littéraire. Un rythme harmonieux se dégage à la lecture d’une série d’alinéas, n’ayant que quelques lignes en général et formant comme autant de couplets, dont chacun flatte l’oreille.

La qualité que nous relevons ne distingue pas exclusivement ce qu’on pourrait appeler les morceaux de bravoure, tels que les portraits d’hommes illustres. Prenez, dans VEsprit des Lois, les définitions par lesquelles le second livre commence. Qui ne discerne dans cette prose sévère un tour général, un mouvement ordonné?

Montesquieu se rendait compte des mérites de son style à cet égard. On lit, en effet, dans le tome Ier de ses Pensées : « Bien des gens, en France, surtout M. de La Motte, soutiennent qu’il n’y a pas d’harmonie. Je prouve qu’il y en a, comme Diogène prouvoit à Zénon qu’il y avoit du mouvement, en faisant un tour de chambre »

C’est également à dessein que notre auteur disposait le sujet de ses œuvres d’une manière qui lui a valu le reproche d’impuissance. N’a-t-on pas dit qu’il avait l’intelligence « fragmentaire »? Lui qui a suivi constamment, dans un ordre rigoureux, une idée unique, à travers les trois à quatre volumes de VEsprit des Lois!

Il est vrai qu’il lui répugnait de faire quelque chose d’analogue à une dissertation, à un traité doctoral. Sa

i. Ptnsies (manuscrites), tome I, page 374