Page:Montesquieu - Pensées et Fragments inédits, t1, 1899.djvu/326

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Cherchons à nous accommoder à cette vie ; ce n’est point à cette vie à s’accommoder à nous. Ne soyons ni trop vides, ni trop pleins. Si nous sommes destinés à nous ennuyer, sachons 5 nous ennuyer, et, pour cela, évaluons bien les plaisirs que nous perdons, et n’ôtons pas leur prix à ceux que nous pouvons nous procurer.

Quand je devins aveugle, je compris d’abord que je saurois être aveugle. 10 On peut compter que, dans la plupart des malheurs, il n’y a qu’à savoir se retourner.

Dans ce cas, la plupart des malheurs entreront dans le plan d’une vie heureuse. Il est très aisé, avec un peu de réflexion, de se défaire des passions xb tristes.

M. Rousseau a très bien dit : «J’ai vu qu’il étoit plus facile de souffrir que de se venger. »

La plupart des gens vous nuisent sans avoir la moindre intention de vous nuire. Ils font des traits

20 d’inimitié, et ils ne sont pas vos ennemis. Ils ont parlé contre vous, et ils ne vouloient que parler. C’étoit un de leurs besoins, et ils l’ont satisfait : ils ont parlé contre vous, parce qu’ils étoient dans l’impuissance de se taire. Ces gens qui vous ont

a5 montré peu de bienveillance, vous serviroient volontiers si vous les en priiez, et blâmeroient de tout leur cœur ceux qu’ils ont loués contre vous. Rendez-vous justice ! Êtes-vous faits pour être loués de tout le monde ? Ce qu’on a dit n’est-il pas offen

3o sant parce que vous ayez trop de délicatesse ? Ne commencez-vous pas à le mériter dès que vous