Page:Montesquieu - Pensées et Fragments inédits, t1, 1899.djvu/328

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des idées un peu saines. Une minute d’attention par jour suffit, et il ne faut point entrer pour cela dans un cabinet, pour se recueillir : ces choses s’apprennent dans le tumulte du monde mieux que 5 dans un cabinet.

J’ai vu des gens mourir de chagrin de ce qu’on ne leur donnoit pas des emplois qu’ils auroient été obligés de refuser, si on les leur avoit offerts i. Belles paroles de Sénèque : « Sic prœsentibus vo10 luptatibus utaris, ut futuris non noceas. »

Une mère a-t-elle perdu sa beauté ? Vous la voyez qu’elle s’enorgueillit de celle de sa fille.

On est heureux dans le cercle des sociétés où l’on vit : témoin les galériens. Or chacun se fait son iS cercle, dans lequel il se met pour être heureux.

Comme les plaisirs sont souvent mêlés de peines, les peines sont mêlées de plaisirs. On ne sauroit croire jusqu’où va le délice des afflictions fausses, lorsque l’âme sent qu’elle attire l’attention et la 20 compassion ; c’est un sentiment agréable. On voit bien naïvement cette ressource de l’âme dans le jeu : pendant que l’un s’enorgueillit de gagner et se croit un personnage plus important parce qu’il gagne, vous voyez ceux qui perdent chercher une 23 infinité de petites consolations par leurs petites plaintes, par leurs petites interpellations à tous ceux qui les entourent. On parle de soi ; cela suffit à l’âme.

Il y a plus. Les vrayes afflictions ont leurs