Page:Montesquieu - Pensées et Fragments inédits, t1, 1899.djvu/465

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le ministère signalé, et jamais le règne. Un degré de moins de foiblesse auroit rendu ce prince le jouet de sa nation, parce qu’il auroit voulu gouverner par lui-même. Un degré de plus de foiblesse le rendit plus puissant que tous ses prédécesseurs, parce qu’il resta sous la main d’un ministre dont le génie dévora l’Europe, mais qui ne lui laissa d’autre gloire que celle de cet empereur tartare qui conquit la Chine à six ans.

653* (1988. III, f° 283 v°).— Par une fatalité cruelle, les plus grands princes sont ceux qui sont les plus mécontents de leur fortune.

Comme elle a fait beaucoup pour eux, ils s’accoutument à penser qu’elle devoit faire tout. Celui qui a de vastes possessions ne peut plus avoir que de vastes désirs. Alexandre, en qualité de roi de Macédoine, désiroit le royaume de Perse ; en qualité de roi de Perse, il désiroit tout ce qu’il connoissoit de la Terre ; quand il vit qu’il en alloit être le maître, il envoya des flottes pour lui chercher de nouveaux peuples : maladie étrange, qui augmente par les remèdes mêmes.

654* (1989. III, f° 284). — Un roi de France qui fait réflexion sur sa grandeur doit dire aux Dieux ce que Sénèque disoit à un empereur : « Vous m’avez comblé de tant de biens et de tant d’honneurs que rien ne peut manquer à ma félicité que la modération. — Tantum honorum in me cumulasti, ut nihil felicitati meœ desit nisi moderatio ejus. >