Page:Montesquieu - Pensées et Fragments inédits, t1, 1899.djvu/479

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que, pourvu que l’argent ne sortît point de son royaume, le royaume (quelques subsides qu’il levât, quelque profusion qu’il fît, quelques pensions qu’il payât), le royaume ne pouvoit jamais s’appauvrir. Mais ôter l’argent nécessaire pour la culture des 5 terres, pour le donner à ceux qui ne l’employeront que dans l’encouragement aux arts du luxe, par leur luxe, n’est-ce pas appauvrir l’État ? C’est comme si l’on disoit que vingt chevaux, qui portent chacun cent livres, ne seront pas plus incommodés lorsque 10 dix porteront le tout, et que cinq porteront dans une charrette les cinq autres.

Faites des bienfaits immenses à quelques particuliers, vous accablez en privant les autres, et eux mêmes accablent encore les derniers par leur luxe, ,5 qu’ils leur communiquent, et qu’ils les contraignent d’accepter.

671* (1692. III, f° 37).— Souvent un prince 1 qui punit croit faire un acte de justice, et il en fait un de cruauté. :o

M. Zamega ne dit pas pour cela qu’un prince ne doive être quelquefois sévère. Sa bonté habituelle dépend tellement de sa fermeté dans de certains occasions que, sans cela, elle n’est qu’une foiblesse d’âme capable d’affoiblir l’État ou d’en 25 précipiter la chute. Il ne peut être rétabli que par la fermeté du Prince. Que si la licence a pris entièrement le dessus, et que l’autorité soit méprisée,

1. Ceci est un fragment d’un ouvrage que j’avois commencé, intitulé : Journaux de Livres peu connus.