Page:Montesquieu - Pensées et Fragments inédits, t1, 1899.djvu/481

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étoit étranger à la matière et devoit lui avoir été imprimé par un autre être.

Comme, lorsque nous ne voyons pas de cause d’une chose, nous disons que c’est le hasard qui l’a produite, ainsi nous disons que, si un être n’avoit 5 pas créé la matière, ce seroit le hasard qui l’auroit créée, et que, s’il ne lui avoit pas imprimé le mouvement, ce seroit le hasard qui l’auroit fait.

Comme, lorsque nous trouvons des loix dans nos sociétés, nous avons toujours l’idée d’un législateur, 10 voyant des loix constantes dans la Nature, nous ne manquons pas de dire que c’est un autre être que la Nature qui les a établies.

Enfin, nous jugeons toujours de cet immense Univers sur les idées que nous avons prises de nos i5 opérations humaines, et, comme nous ne voyons partout que des effets particuliers, nous jugeons que l’Univers est lui-même un effet particulier.

Comme nous distinguons deux choses dans chaque corps, son essence et son existence, nous faisons 20 la même distinction à l’égard de l’universalité des choses, sans songer qu’à une étendue éternelle, infinie, nécessaire, sans bornes, son essence est d’exister, et réciproquement son existence suppose nécessairement son essence. Elle n’existeroit point, 25 si elle n’étoit pas éternelle ; elle ne seroit pas éternelle, si elle n’étoit pas nécessaire ; elle ne seroit pas nécessaire, si elle n’étoit pas infinie ; elle ne seroit pas infinie, si quelque chose pouvoit la borner ; et, si quelque chose pouvoit la borner, ce quelque chose 3o ne seroit pas infini non plus.