Page:Montesquieu - Pensées et Fragments inédits, t1, 1899.djvu/487

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payenne, telle qu’elle étoit, se répandoit par tout . l’Univers, et ne laissa aux adorateurs du vrai Dieu qu’un petit coin de terre. Chaque homme, qui étoit idolâtre avant d’être raisonnable, y apportoit en naissant une meilleure disposition ; ce qui la faisoit 5 regarder comme une religion naturelle, que la naissance même avoit produite dans l’Homme, avant l’éducation.

Mais, pour mieux reconnoître ceci, jugeons des idées des Payens par nos idées, et de leur situation 10 par la nôtre. Quelle peine n’avons-nous pas, avec les secours de la foi et de la philosophie, de nous faire à l’idée d’un Esprit infini, qui gouverne l’Univers ? Il est vrai que, par une sérieuse attention, nous pouvons vaincre la résistance de nos sens. Mais, si i5 nous [n’]y prenons garde, ils se révoltent aussitôt et rentrent dans leurs premiers droits. Tantôt ils nous peignent un vénérable vieillard ; tantôt une colombe. Étrange foiblesse de l’Homme, que la force même de la foi ne sauroit vaincre1 ! ao

Quand les Payens furent tombés dans cette opinion que Dieu avoit un corps comme les hommes, ils ne purent en rester là. La multiplicité des Dieux étoit une suite trop naturelle de leurs principes. Il leur étoit impossible d’imaginer un Dieu simple, unique, 25 spirituel, qui est partout, qui voit tout, qui remplit tout. Ils ne pouvoient, cependant, refuser à l’instinct de la nature de reconnoître un Dieu, bien que matériel, qui régît et gouvernât l’Univers, et cette con

1. M. Arnauld.