Page:Montesquieu - Pensées et Fragments inédits, t1, 1899.djvu/94

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apparence, fais, de temps en temps, sortir un esprit inquiet. N’attends pas les rides de la vieillesse pour en montrer les chagrins. C’est en vain que tu te plierois à une lâche

5 complaisance. Nous sommes tous haïs des femmes, et haïs jusqu’à la fureur. Crois-tu que cette rage implacable soit l’effet de la sévérité avec laquelle nous les traitons? Ah! elles pardonneroient nos caprices, si elles pouvoient nous pardonner nos

io malheurs.

Ne te pique point d’une probité trop exacte. Il y a une certaine délicatesse qui ne convient guère qu’aux hommes libres. Notre condition ne nous laisse pas le pouvoir d’être vertueux. L’amitié, la

i5 foi, les serments, le respect pour la vertu, sont des victimes que nous devons sacrifier à tous les instants. Obligés de travailler sans cesse à conserver notre vie et à détourner de dessus notre tête les châtiments, tous les moyens sont légitimes:

20 la finesse, la fraude, l’artifice, sont les vertus des malheureux comme nous.

Si tu viens jamais à la première place, ton principal objet sera de te rendre maître du sérail. Plus tu seras absolu, plus tu auras de moyens pour

î5 rompre les brigues et la fureur de la vengeance. Il faut commencer par abattre le courage et ensevelir toutes les passions dans l’étonnement et dans la crainte. Tu n’y réussiras jamais mieux qu’en animant la jalousie de ton maître. Tu lui feras, de

30 temps en temps, de petites confidences. Tu arrêteras son esprit sur les soupçons les plus légers. Tu l’y