Page:Montesquieu - Pensées et Fragments inédits, t1, 1899.djvu/96

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caprice suive le choix ; le mépris, le caprice : pour lors, tu seras dans la plus heureuse situation où tu puisses être. Maître de toutes ses femmes, traite les comme si elles vivoient dans une perpétuelle dis

5 grâce, et ne crains rien d’une faveur qui se perd à mesure qu’elle se donne.

C’est donc à toi d’aider son inconstance. Il arrive quelquefois qu’une beauté triomphe et arrête le cœur le plus volage. Il a beau s’échapper, elle le

io rappelle toujours. Des retours si constants menacent d’un attachement éternel. Il faut, à quelque prix qu’il en soit, rompre ces nouvelles chaînes. Ouvre le sérail ; fais y entrer à grands flots de nouvelles rivales ; fais diversion de toutes les parts ; confonds une superbe

i5 maîtresse dans le nombre, et réduis la à disputer encore ce que les autres ne pouvoient plus défendre.

Cette politique te réussira presque toujours. Par ce moyens, tu useras si bien son cœur qu’il ne sentira rien. Les grâces seront perdues : tant de

-o charmes secrets pour tout l’univers le seront encore plus à ses yeux mêmes. En vain, ses femmes, à l’envi, essayeront sur lui les traits les plus redoutables. Inutiles à l’amour, elles ne tiendront à son cœur que par la jalousie.

25 Tu vois que je ne te cache rien. Quoique je n’aye jamais guère connu cet engagement qu’on appelle amitié, et que je me sois enveloppé tout entier dans moi-même, tu m’as pourtant fait sentir que j’avois encore un cœur, et, pendant que j’étois de bronze

30 pour tous ces esclaves qui vivoient sous mes loix, je voyois croître ton enfance avec plaisir.