Page:Montesquieu - Pensées et Fragments inédits, t2, 1901.djvu/58

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derniers mots ; si on veut une épigramme, elle est dans le tout.

A l’égard de ceux qui disent que l’ordre est troublé, il ne l’est point du tout, parce qu’il ne pou5 voit être autrement. Le poète a à peindre l’état de Lucrèce. Il est admirable en ce que, dès qu’elle arrive au détail qui lui paroît le plus affreux, elle ne peut plus parler, elle pleure. Le poète avoit donc deux choses à faire : de peindre l’état de Lucrèce et

to toutes les impressions que la douleur faisoit sur elle. Lucrèce s’arrête lorsqu’elle est venue à l’idée la plus affreuse, et elle se met à pleurer. C’est ce que le poète a dû d’abord exprimer, soit que la rougeur ait précédé les pleurs, soit que les pleurs ayent suivi la

15 rougeur, soit (ce qui est beaucoup plus dans la nature) que la rougeur et les pleurs ayent été excités en même temps. Or, ici, le poète n*a point dû suivre l’ordre qui feroit commencer par l’expression la plus foible, pour aller à l’expression le plus forte : il

2o faut suivre, non pas l’ordre de la chose, mais l’ordre de la pensée. Ovide ayant à faire taire Lucrèce a dû commencer par la faire pleurer, parce que ce sont les pleurs, et non pas la rougeur qui l’ont empêchée de parler. L’ordre des choses doit être pris de là :

2 5 Lucrèce devoit nécessairement rougir, et le poète devoit le dire ; mais il ne devoit ni ne pouvoit le dire qu’après. Ces deux émotions du même instant ont, dans ce cas particulier, ici, un ordre particulier. Changez l’ordre, et mettez : «il falloit dire le reste ;

3o mais, lorsqu’elle voulut parler, elle rougit et pleura » : toute la pensée est gâtée. « Lorsqu’elle voulut