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De l’esprit des Lois,

mération des maux qu’elle a produits, si l’on ne fait de même celle des biens qu’elle a faits. Si je voulois raconter tous les maux qu’on produit dans le monde les lois civiles, la monarchie, le gouvernement républicain, je dirois des choses effroyables. Quand il seroit inutile que les sujets eussent une religion, il ne le seroit pas que les princes en eussent, & qu’ils blanchissent d’écume le seul frein que ceux qui ne craignent pas les lois humaines puissent avoir.

Un prince qui aime la religion & qui la craint, est un lion qui cede à la main qui le flatte, ou à la voix qui l’appaise : celui qui craint la religion & qui la hait, est comme les bêtes sauvages qui mordent la chaîne qui les empêche de se jeter sur ceux qui passent : celui qui n’a point du tout de religion, est cet animal terrible, qui ne sent sa liberté que lorsqu’il déchire & qu’il dévore.

La question n’est pas de savoir s’il vaudroit mieux qu’un certain homme ou qu’un certain peuple n’eût point de religion, que d’abuser de celle qu’il a ; mais de savoir quel est le moindre mal, que l’on abuse quelquefois de la religion,