C’est le pays qui m’a donné le jour.
En regardant les figures qui m’entourent, je me souviens aussi de l’étonnement d’Eugène Brieux à retrouver dans un cercle bourgeois de Montréal des avocats et des notaires, des médecins et des négociants ressemblant comme des frères à leurs collègues de Rouen.
Un concert a lieu dans la salle de réception de l’Hôtel de Ville, auquel prennent part Mademoiselle Vilquain de l’Opéra de Rouen, et nos gars normands. Auditoire nombreux, et tout de suite saisi : mais, si nos chanteurs ont gagné le cœur des Rouennais, René Filiatrault les a touchés profondément, « les a eus », comme on dit en France, en chantant avec une mélancolie prenante la chanson de Bérat, en faisant résonner le vieil écho : J’irai revoir ma Normandie. Sa voix, presque blanche à force d’être émue, déchaîne l’enthousiasme. La glace est rompue.
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Le Havre, m’a-t-on dit, est mal partagé : les voyageurs n’y font que passer, et notre délégation elle-même n’y comptera que quelques heures à l’ombre du départ. Est-ce bien juste ? Le Havre, c’est sans doute la dernière attache qu’on va rompre, le dernier nœud qui se détache sans qu’on puisse en arrêter le glissement ; mais c’est le matin d’un rêve que l’on va reconstituer sur les flots. Et comment n’aimerions-nous pas aussi le Havre d’être la France avant Paris, la présence des côtes de France sous le regard