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DISCOURS À L’ACADÉMIE DE BELGIQUE

sablement, trois siècles qu’un moment de recueillement exprime chaque année avec l’intensité d’un symbole lorsque, la nuit du 24 décembre, les routes bleues de neige s’animent vers l’église : sur la foule agenouillée qu’une même pensée rapproche, dans le silence sans limites de la prière, les chants de Noël venus de France, lointains et semblables, vibrent comme une onde émise du passé. Incomparable émotion qui renoue l’histoire en une minute d’abandon et fonde la patrie canadienne, désormais distincte, sur une survivance dont ni le temps ni les hommes n’ont triomphé.

Mais quittons ce jardin où la langue écrite s’épanouit, toujours sensible à l’attrait d’une boutonnière, langue d’apparat dont on revêt une pensée de circonstance, pour pénétrer dans l’usine populaire où se forge et rougeoie le langage de chaque jour. Louis Hémon, qui avait conçu son roman dès sa première vision de Québec, cherchait dans la ville historique, Non pas ce qui est resté français, mais ce qui déjà semble venir d’ailleurs. L’ambiance anglaise, la marque américaine, lui apparaissent à certains détails qu’il dresse comme des objections ; mais, lorsqu’il s’oriente vers la campagne semée de villages aux noms français, le regard du paysan l’éclaire et il se prend à écouter le parler qui est comme l’écho d’un serment. C’est là surtout qu’il sied d’aller rendre visite à la langue, au foyer où elle s’anime, où, toujours alerte, un peu brève, vêtue d’étoffe passée aux reflets savoureux, elle vaque à sa besogne parmi de vieilles choses.