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LE FRONT CONTRE LA VITRE

Cependant, nos mots francisés nous paraissent, pour la plupart, déconcertants ; et les plus mal venus nous horripilent, surtout lorsque nous les isolons. Il a fallu le témoignage de Remy de Gourmont pour nous inciter à plus d’indulgence, pour nous donner l’intelligence d’un phénomène que nous avions classé. L’auteur de l’Esthétique de la langue française rend hommage à nos procédés de francisation parce qu’ils sont instinctifs, donc traditionnels ; il cite nos mots comme des exemples ; il les déclare français, sinon toujours par leur racine au moins par leur flexion, invoquant, sans qu’il en ait besoin, l’autorité de Max Muller. Ainsi donc, Émile Faguet nous conseille de garder nos archaïsmes et lamente la langue de Paris, et Remy de Gourmont accepte nos déformations parce qu’elles sont de bonne roture. Quelle tentation de croire que nous parlons une langue légitime jusque dans ses audaces et d’exiger de ceux qui la jugent en passant un peu plus d’attention, sinon de compétence !

Hélas, ce serait se bercer de formules, comme l’esprit français y est déjà trop enclin. On aurait vite fait de rappeler que Remy de Gourmont, dans un livre qu’il nous a consacré et qui a pour titre notre nom même, nous a mis en garde contre l’anglicisme que rien ne justifie, pas même les plus élégantes francisations, s’il aboutit à un double emploi, s’il ne supplée pas à l’indigence. Il nous est interdit de penser que l’usage légitime tout, comme l’ont écrit des auteurs qui n’ont pas eu à défendre leur langue et qui ont érigé en dogme l’ignorance créatrice. La liberté sans frein serait pour nous le suicide. Aussi com-