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LE MALACHIGAN

bouche horizontale est dépourvue de dents ; mais, en revanche, son pharynx est armé d’un mécanisme redoutable, composé de trois meules garnies de dents mises en opération par des muscles si puissants que leur contraction fait éclater, comme des coquilles d’œuf, les moules les plus fortement retranchées dans leur donjon nacré. Ces os pharyngiens ou meules triangulaires sont disposés, le plus grand en bas ; les deux autres petits, mobiles, s’exhaussent en voûte au-dessus pour livrer passage aux mollusques et se rabattre impitoyablement sur eux en les broyant dès qu’ils y sont engagés. Cet appareil en trois pièces est garni de dents molaires irrégulièrement disposées sur la surface des disques osseux formant corps avec eux, mais s’en dégageant par leur transparence, le châtoiement de l’émail pur, plus encore que par leur saillie.

Le malachigan fait mentir le vieux proverbe muet comme un poisson, car il est doué d’une voix qui se fait entendre depuis de grandes profondeurs d’eau ; de là, ses noms de thunder pumper ou de lake drum, grondin, tambour des lacs et autres. D’aucuns prétendent qu’il célèbre alors ses amours, d’autres disent qu’il accompagne de ses chants les festins pantagruéliques aux moules auxquels il se livre au fond des eaux. Il se nourrit de mollusques et de crustacés. La meilleure esche pour le pêcher est l’écrevisse ; il mord, toutefois, aux vers rouges et au poisson blanc.

Ce qui caractérise particulièrement le malachigan, ce sont les os des oreilles ou otholites, d’une grosseur remarquable, se rapprochant beaucoup de l’ivoire par leur texture. Souvent les nègres du Sud les portent en amulettes et ils sont également recherchés par les jeunes amoureux du Wisconsin et autres contrées de l’Ouest, qui les appellent des porte-bonheur, parce qu’ils portent, gravée à leur face, la lettre L (Luck). Le nom de Jewel Head ou Tête-écrin est assurément empruntée à ces os, et, lorsque Jordan proposait de nommer génériquement Eutychelitus une espèce de malachigan habitant le lac Huron, il visait à traduire les mots pierres de chance.

Il ne manque pas de Canadiens qui attribuent à ces os précieux des vertus curatives dont le nom commence par la lettre gravée sur iceux. Avec un peu de bonne volonté on peut y trouver un S ou un T, ou telle autre lettre désirée aussi bien qu’une L. De sorte qu’une collection considérable de ces pierres fournirait un arsenal complet contre toutes les maladies connues.

De retour de la pêche, le temps de se rafraîchir un peu, de prendre une bouchée sur le pouce, de fumer une pipe en épiloguant sur les aventures du jour, et l’heure du train pour Ottawa est arrivée. J’accompagne mes deux amis à la gare de Papineauville, à la lueur d’éclairs éblouissants, sous les fouets du tonnerre dont le char précipite sa course à