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LES POISSONS

colonie s’ébranle, prend le large, quitte les eaux saumâtres et remonte processionnellement le fleuve Saint-Laurent. C’est l’heure de la ponte ; l’instinct de la reproduction les attire en eau douce, au lieu de leur naissance, pour y déposer leurs œufs. Deçà et delà, ils s’arrêteront quelques jours à l’entrée des cours d’eau, mais le but de leur pèlerinage, leur La Mecque, c’est Trois-Rivières. L’esprit de Benjamin Sulte, toujours en éveil, montant perpétuellement la garde autour de sa ville natale, ne devait pas laisser le petit-poisson dans l’oubli. Dans le Canada du 23 décembre 1890, je trouve l’entrefilet suivant de sa façon, d’une poésie à la fois douce, spirituelle et profonde, avec une apparence captieuse de sans-gêne, de bonhomie, de naturel acquis par la méditation, l’observation qui s’appelle la science.

« Il va venir, il vient, il arrive, ponctuel comme toujours, juste cinquante heures avant la messe de minuit. Écoutez la Paix des Trois-Rivières, numéro du 11 de ce mois :

« Le petit-poisson vient de passer à Deschambault, en route pour Trois-Rivières. Nous attendons son apparition dans le Saint-Maurice d’un moment à l’autre. »

« Signalé à Deschambault, le 19, notre poisson avait encore soixante milles à parcourir en l’état intéressant où il se trouve au milieu de décembre ; à ce compte, il n’entrera dans le Saint-Maurice que vers lundi, 22 courant, comme de coutume.

« Si l’on ne connaissait aux Trois-Rivières tout ce qui concerne ce petit être tant désiré chaque hiver, j’enverrais le présent article à la Paix pour la remercier de nous avoir mis l’eau à la bouche.

« À Ottawa, la renommée du petit-poisson est assez bien établie, mais son histoire y est à peu près inconnue. Nous choisirons donc le Canada comme voie de publicité.

« Cela vous paraît peut-être superflu que j’entre dans des détails, puisque les Canadiens de vieille roche ont depuis longtemps fait l’éloge du petit-poisson. On dit de lui :

« Apprécié de tout le monde.

« Venant nous voir au temps des fêtes.

« D’une digestion facile.

« Inoubliable aux estomacs reconnaissants.

« Préfère être cuit à l’étouffée.

« Fréquente de préférence les Trois-Rivières, parce que c’est un pays de gourmets.

« Tout cela c’est beaucoup, mais ce n’est pas assez.

« Que de fois l’on m’a prié d’en parler ! Ne me sentant pas à la hauteur du sujet, j’ai reculé. Faire une tragédie, des chansons, à la bonne