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L’ANGUILLE

tions, et qui, par des routes insidieuses, conduisent à leur perte celles de Comacchio. Si la mer est tempétueuse, s’il souffle des vents froids accompagnés de pluie, les captures que l’on en fait augmentent outre mesure ; c’est alors un spectacle singulier de voir ces chambres de roseaux où les anguilles arrivent et se pressent, et s’entassent au point de les remplir au-dessus de la surface de l’eau ; ce n’est pas qu’elles ne puissent s’en retourner, en suivant les mêmes chemins par où elles sont venues, mais le désir inné d’abandonner les marais à cette époque et de se transporter à la mer les retient dans cette enceinte, où elles s’efforcent toujours inutilement de passer outre. Malgré leur encombrement dans un espace aussi étroit, elles ne souffrent pas, attendu que la marée agite l’eau et la renouvelle sans cesse. C’est là que les pêcheurs les ramassent dans leurs filets, au fur et à mesure qu’ils en ont besoin. Cette pêche dure trois mois. Afin qu’on se fasse une idée de son importance, nous donnons, d’après Spallanzini, le relevé de la quantité de poissons capturés en cinq années ; en prenant pour mesure le rubio, qui contient en moyenne quarante anguilles :


Rubios. Anguilles.
En 1781
93,441 3,237,640
En 1782
110,991 4,439,640
En 1783
78,588 3,143,500
En 1784
88,173 3,525,920
En 1785
67,563 2,682,720


La pêche de Comacchio existe toujours, et continue de donner, régulièrement, des bénéfices énormes à ses propriétaires.

Connaissant sa disposition, son étendue, sa richesse, et quelque peu aussi son mécanisme (d’après Spallanzini), j’avais grand intérêt à visiter les marais salins de l’île d’Anticosti, et à constater de visu les points de ressemblance, entre eux et le grand lavorerio italien. Leurs proportions, la nature de leur formation, leur communication voisine avec la mer, sont à peu près les mêmes. L’anguille étant un des rares poissons qui se trouvent sous presque toutes les latitudes, et dans presque toutes les eaux du globe, douces, saumâtres et salées, il y a lieu de croire que nos espèces du golfe Saint-Laurent ne diffèrent pas de celles d’Italie, ce qui nous permettrait de les traiter d’après la même méthode. Quant à la quantité, nous savons que l’anguille, dans nos eaux, est aussi abondante que dans les eaux de la Méditerranée, et ces marais de l’Anticosti, mêlés de tourbières, fourmillant nécessairement d’insectes, de menus coquillages, doivent y attirer un nombre prodigieux de ces murènes. Au cas où l’on voudrait s’assurer d’une plus riche récolte, il suffirait de recueillir, au