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LES POISSONS

Pendant des années — avant 1890 — le capitaine Deniston recruta en Angleterre des groupes d’amateurs de pêche qui firent des campagnes incomparables dans nos rivières en litige de la seigneurie Mingan, mais particulièrement dans la Natashquan. La capture dut être exceptionnelle en 1890, car, avant le quinze juillet, le capitaine Murphy avait inscrit plus de 300 pièces sur son carnier de pêche.

Un jour, le duc de Beaufort, le duc actuel de Sunderland, et feu Ned Sothern se trouvant à bord d’un steamer de la Cie Allan, payèrent au capitaine la somme de mille dollars pour qu’il se détournât de quelques milles de sa route et les déposât à l’embouchure de la Natashquan. On se demande combien la livre de saumon pêché au Canada pouvait coûter à ces sporstmen de haute lignée, à leur retour en Angleterre.

Pendant longtemps la Natashquan, à son embouchure et jusqu’au pied de la première grande chute, a fourni une pêche au filet prodigieusement abondante. Une année même, la capture fut tellement nombreuse que le sel et les barils firent défaut et qu’il s’ensuivit une perte de milliers de beaux poissons. Depuis, et d’année en année, la rivière a subi une déchéance sensible qui l’a réduite au rang de rivière de troisième classe après avoir occupé le premier rang.

Au seizième mille, le lit de la rivière est coupé à angle droit par une chute d’une vingtaine de pieds de hauteur, au pied de laquelle le saumon vient s’entasser par milliers en rangs si serrés qu’on en voit, à chaque instant, sortir de l’eau, sous la pression commune de la masse. Ils restent là, sous une poussée inconsciente, attendant qu’une forte pluie vienne grossir la rivière et leur permettre de franchir le rocher surplombant dont ils se rapprochent comme s’ils étaient portés par un élévateur. Si nombreux sont-ils qu’une ligne jetée au hasard ramène à coup sûr une victime accrochée par les flancs, les ouïes ou autrement.

Dès que la pluie commence à tomber, ces pauvres poissons assoiffés témoignent de leur joie par des sauts, des soubresauts, des coups de queue, une gymnastique en règle. Petit à petit le bassin monte, la chute les appelle de sa voix de plus en plus sourde, leur parlant déjà presque de niveau, à l’oreille, et ces pauvres poissons enjambent le gouffre sans effort, comme un trait argenté lancé de bas en haut. Toutefois, si rapides qu’ils soient, il arrive que des tireurs exercés choisissent ce moment pour montrer leur adresse, en les perçant d’une balle au vol, comme des oiseaux, proies inutiles de la vanité jetées au gouffre.

Quelques coups de dualine ou de dynamite bien appliqués ici doubleraient l’importance de la rivière pour la pêche au lancer.