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SOUVENIRS

des mots et des mots seulement, tracer les distances, sculpter les reliefs, colorer les saisons, raviver des traits. J’y fus sans doute fort malhabile car M. Ferdinand Brunot me dit avec un sourire, à la fin de la leçon : « Vous avez donc inventé la géographie poétique ? » J’ai retenu ce propos presque comme un reproche, qui me laissa l’amère inquiétude, malgré la sympathie du public, d’avoir perdu la partie.

Aussi quelle ne fut pas ma joie — que je ressentis avec l’acuité d’une revanche — en lisant sur la couverture d’un livre de Georges Duhamel, paru longtemps après mon aventure : Géographie cordiale de l’Europe. Une géographie cordiale, n’était-ce pas ce que ma détresse m’avait inspiré ? Sans doute, la géographie enrichit de ses précisions les cadres où s’exerce l’activité sociale : mais celle-ci anime et prolonge le dessin physique. Les savants, s’ils ne cèdent pas à l’imagination, souhaitent que leurs conclusions éclairent les gestes de l’humanité. Il ne leur appartient pas, d’ailleurs, d’empêcher la fantaisie de se libérer à leurs propos, et de brosser, sur un fond qui ne saurait leur déplaire, puisqu’ils l’ont préparé, le tableau où la beauté et le rêve sont rétablis. N’en font-ils pas quelque chose en illustrant leurs livres, en ajoutant à la rigidité de leur enseignement la souplesse de l’image ? Jean Brunhes, par exemple, a destiné aux écoles de France des manuels qui rutilent de couleurs.

***

Le fait que mon cours avait lieu une fois par semaine facilitait ma dernière mise au point. Chaque mardi, accompagné de ma femme, je m’acheminais vers la Sorbonne, le cœur un peu serré.