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SOUVENIRS

fleuves, des mers, qu’est-ce que cela dirait à ceux qui connaissaient les replis articulés de l’Europe ?

Beaucoup plus qu’on ne serait tenté de le croire. Je me rappelle une conférence, suivie de projections, que je fis à Paris, devant un Cercle suisse, alors que j’étais étudiant. S’il est un familier de la montagne, c’est bien le Suisse, et pourtant avec quelle intensité les spectateurs regardaient le flot glacé de nos Rocheuses ! Ainsi les auditeurs de la Sorbonne à qui l’écran dévoilait le décor de notre épopée, le champ d’une double culture et la trace d’une vigoureuse conquête : les provinces de l’Est, le Plateau laurentien, le fleuve royal, la toundra sans fin, l’ébouriffement des cordillères, les postes du Nord et, dans le sillon, dans la maison, dans les clochers, dans le même geste de Dieu, la révélation de l’œuvre française, l’opus francigenum, amorcée, poursuivie par ceux qui, venus il y a trois cents ans, « sont restés ».

Je tenais ainsi une revanche, bien innocente il est vrai, en précisant les évocations de ma « géographie poétique », par la présence des choses.

***

Des amis avaient aimablement comploté de me faire visiter l’Alsace autrement qu’en touriste, de me la faire connaître, sinon en profondeur, au moins dans la variété de ses institutions, de m’en révéler ainsi l’âme diverse, une dans sa fidélité. Je ne voyageai pas, on me transporta à travers une Alsace en plein travail, jusqu’au sommet de « la ligne bleue des Vosges » qui, quinze ans plus tard, ne devait pas plus résister à l’invasion, hélas ! que son contrefort humain construit sous la dictée de Maginot.

Mulhouse, Colmar, Munster, Sélestat, Saint-