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SOUVENIRS

se fixent, se fortifient, que le colon dépasse, qu’il déplace toujours plus loin.

Cette terre, l’homme en a donc pris possession. Il l’a constellée de noms qui distinguent, dans toute l’Amérique du Nord, des sites, et amorcent une continuité.

Retiens cette idée de continuité, chère à notre esprit français et conforme à notre tempérament. Le territoire la soutient ; il la nourrit comme une végétation. Il provoque la « permanence du peuplement » selon les ressources qu’il offre. Ainsi les hommes choisissent les terres car elles ne contiennent pas toutes les mêmes promesses. Celles qui sont riches ou simplement exploitables attirent et retiennent l’homme et constituent, selon l’expression d’un auteur, « des zones de stabilité en même temps que des lieux de rencontre ou de passage ». L’histoire naît de la géographie et s’y ajoute pour constituer la nation.

Le sol traduit donc une fidélité ; il est aussi un signe d’unité qui, les invasions dépassées, marque des cristallisations successives. La variété de la France s’est fondée sous l’influence d’un esprit qui est un résultat politique. La libre circulation dans les limites du pays a formé peu à peu des groupements, au delà des familles ; elle les a liés les uns aux autres ; elle les a aplanis et confondus, quoiqu’ils gardent certains caractères. Ce procédé, très ancien en Europe, est d hier dans nos pays neufs ; mais il se poursuit sous les influences de l’histoire aux prises avec la terre, et tu percevras ces deux forces déterminantes dans le lent assouplissement de la nation.

Aux premiers plans brillent l’aristocratie et, plus largement encore, dès qu’elle s’est dégagée de l’emprise guerrière ou féodale, la bourgeoisie.