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PRÉSENCES

cours du Saguenay. Tu verras des rivières vigoureuses, beaucoup plus que celles de la Colombie britannique, bondir sur des lits de roche et tu comprendras l’expression « cheval-vapeur ». Quelle puissance, que seule arrête la sagesse résistante des berges sauvages et silencieuses. Tu remarqueras que toutes ces rivières se précipitent dans le lac Saint-Jean qui débouche sur le Saguenay, le « fleuve de la mort », impénétrable et majestueux. On t’a parlé des fjords. En voici un, et splendide. Il vaut ceux que l’Europe t’offre. Le Saguenay se déverse dans le Saint-Laurent, merveille des merveilles. De l’embouchure du Saguenay, quel horizon !

Que de fois j’ai suivi le grand fleuve. De ses rives ou au fil de ses eaux. Nous le descendions chaque fois que nous allions vers l’Europe. Le premier soir nous livrait, au-dessus de l’Île d’Orléans et des Laurentides, d’inoubliables contrejours. La nuit allumait la Malbaie. Nous quittions à regret ces feux. Le lendemain, nous longions la côte de Gaspé. Nous regardions sans nous lasser la succession des caps et des vallées de cette terre impassible et silencieuse, si proche de nous, à peine humanisée sur ses bords ou le long de ses rivières, où de larges rectangles verts ou jaunes marquent des tentatives de vie, près de la maison souvent solitaire. Au-dessus, la ligne morne des monts. Devant nous, le fleuve dégagé, immense. Un estuaire ? La mer déjà, criblée de rayons sous un ciel pur. Le navire glissait au milieu des mouettes blanches. Très loin sur l’autre rive, l’émouvante ligne des Laurentides. L’eau vibrait à peine : des vagues courtes aux crêtes brèves, comme des mains qui applaudiraient de toute part la clarté d’un jour sans nuages. Nous laissions la terre à