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grand nombre de disciples. Ce fut alors qu’Aristote composa ses principaux ouvrages. Néanmoins, Plutarque dit qu’Aristote avoit déja écrit ses livres de physique, de morale, de métaphysique, & de rhétorique. Il rapporte même qu’Alexandre lui écrivit une lettre par laquelle ce prince se plaignoit qu’Aristote avoit avili le prix de quelques-uns de ses livres, en les rendant publics. Le même Plutarque dit aussi que ce philosophe piqué des soupçons d’Alexandre, & des présens qu’il avoit envoyés à Xenocrate, en conçut tant de ressentiment, qu’il eut part à la conjuration d’Antipater contre ce prince. Les partisans d’Aristote soutiennent que cette opinion fut sans fondement, & que du moins elle ne fit aucune impression sur l’esprit d’Alexandre, qui lui ordonna de s’appliquer à l’histoire de ce qui regarde les animaux. Il lui envoya, pour fournir à la dépense de cette étude, huit cens talens, qui font quatre cens quatre-vingts mille écus de notre monnaie, selon la supputation de Budé, & il lui donna un grand nombre de chasseurs & de pêcheurs, pour travailler sous ses ordres, & lui rapporter de tous côtés de quoi faire ses observations. Cependant un prêtre de Cerès nommé Eurymedon, accusa d’impiété Ariftote, lequel se justifia de ce crime, par une apologie fort ample, qu’il écrivit aux magistrats. Mais, comme il connoissoit le peuple d’Athènes, qui étoit très-délicat sur sa religion, le souvenir du traitement que Socrate en avoit reçu dans une occasion pareille l’épouvanta tellement, qu’il se retira à Chalcis ville d’Eubée. On croit même qu’il aima mieux s’empoisonner, que de se livrer à ses ennemis. S. Justin & S. Grégoire de Nazianze disent qu’il mourut de déplaisir, de n’avoir pu comprendre la cause du flux & du reflux de l’Euripe. Sur quoi quelques modernes ont inventé cette fable, qui depuis a eu cours, que ce philosophe se précipita dans l’Euripe, en disant ces paroles : Que l’Euripe m’engloutisse, puisque je ne le puis comprendre. D’autres disent, qu’il mourut d’une colique, en la 63 année de son âge, la 3 année de la CXIV olympiade, vers l’an 322 avant J. C. deux ans après la mort d’Alexandre. Ceux de Stagire enleverent son corps, & lui dresserent des autels. Il laissa de Pythias une fille qui fut mariée en secondes nôces à un peut-fils de Demaratus roi de Lacédémone. Il eut aussi d’une concubine, un fils nommé Nicomachus, qui aima avec une tendresse extreme, & auquel il adressa ses livres de morale.

Le premier principe de la philosophie d’Aristote est, qu’il y a une science, contre le sentiment de Platon, qui n’en croit point. L’ame, selon lui, acquiert des connoissances par les sens, lesquels sont autant de messagers établis pour lui rendre compte de ce qui se passe hors d’elle ; & de ces connoissances particulieres elle se forme d’elle-même par l’opération de son entendement, des connoissances universelles, certaines & évidentes, qui font la science. Ainsi il veut que de la connoissance des choses particulieres & senfibles, on monte à la connoissance des choses générales & immatérielles, étant persuadé de ce principe, qu’il tient pour indubitable, que rien ne peut entrer dans l’esprit que par les sens. Car l’homme étant fait comme il est, ne peut juger des choses senfibles, avec quelque certitude, autrement que par les sens. L’ordre qu’il suit est celui de la connoissance de l’esprit, qui va a la cause par l’effet : ce que S. Auguftin appelle la voie de la science. Aristote avoit appris cette premiere méthode d’Archytas, qui l’avoit eue de Dexippe. Celui-ci, dans l’ordre des catégories, dont il avoit dressé le plan, mettoit la substance à la tête des autres. Mais, parceque cette connoissance des choses universelles, formée par la connoissance des particulieres, a un principe sujet à l’erreur, qui est le sens ; Aristote cherche à rectifier ce principe, en le rendant infaillible, par le moyen de son organe universel. C’est là sa feconde méthode, & c’est dans cet organe qu’il établit l’art de la démonstration par celui du syllogisme. Voilà ses principes en général. Outre ses ouvrages de philosophie, il a écrit de la poëtique, de la rhétorique, de la politique, de la jurisprudence, & la grammaire. Diogène Laërce lui attribue jusqu’à quatre cens traités ; François Patricius en trouve plus de sept cens quarante-sept. Aristote avoit eu beaucoup de part dans toutes les intrigues de la cour de Philippe & d’Alexandre. La philosophie ne le rendoit point farouche. Il étoit propre, honnête, bon ami ; & il répondit à quelqu’un qui lui demandoit ce que c’étoit qu’un bon ami, que c’étoit une ame dans deux corps. Théophraste, qui l’aimoit tendrement, fut son disciple fidéle, & son successeur dans le Lycée. Aristote lui confia ses écrits, avec défense de les rendre publics. Strabon, Lycon, Démerrius le Phalerien, & Héraclide succéderent l’un après l’autre à Théophraste, lequel confia en mourant les livres d’Aristote à Nelée, qui étoit son ami & son disciple. Ce Nelée étoit de Scepsis, ville de Mysie, où fes héritiers cacherent dans un caveau ses ouvrages, pour s’en assurer contre le roi de Pergame, de qui la ville de Scepsis dépendoit & qui cherchoit par-tout des livres, pour faire une bibliothéque. Ce trésor fut caché durant 160 ans ou environ dans ce lieu secret, d’où il fut tiré presque tout gâté, & vendu à un riche bourgeois d’Athènes, nommé Apellicon. C’est de chez lui que Sylla fit enlever ces livres pour les porter à Rome. Ils échurent ensuite à un grammairien nommé Tyrannion ; & Andronicus de Rhodes les ayant achetés des héritiers de ce dernier, fut en quelque façon le premier restaurateur des livres d’Aristote ; car non-feulement il y rétablit ce qui s’y étoit gâté par la longueur du temps ; mais il les tira même de l’étrange confusion où il les avoit trouvés, & en fit faire des copies. C’eft lui qui commença à faire connaître Arisftote. Ce dernier eut quelques sectateurs durant le regne des douze premiers Césars ; mais il en eut bien davantage sous l’empire d’Adrien & des Antonins. Alexandre d’Aphrodisée fut le premier professeur de la philosophie péripatéticienne, établie à Rome par les empereurs Marc-Aurele & Lucius Verus. Dans les siécles suivans, les gens de lettres s’attacheront à la doctrine d’Aristote, & l’expliquerent par leurs commentaires.

Les premiers docteurs de l’église improuverent d’abord Aristote, comme un philosophe qui donnoit trop au raisonnement & aux sens ; mais Anatolius évêque de Laodicée, le célébre Didyme d’Alexandrie, S. Jérôme, S. Augustin, & divers autres écrivirent & parlerent en sa faveur. Dans le VI siécle, Boëce fit entierement connoître dans l’Occident ce philosophe dont il mit quelques ouvrages en latin. Mais depuis Boëce jusqu’à la fin du VIII siécle, il n’y eut que le seul S. Jean de Damas qui fit un abrégé de la philosophie d’Aristote. Les Grecs qui firent refleurir les sciences dans le IX siécle & dans les suivans, s’attacherent à l’étude de ce philosophe, sur qui plusieurs des plus doctes travaillerent. Sa réputation étoit déja répandue dans l’Afrique parmi les Arabes & les Maures. Alfarabius, Algazel, Avicenne, Averroëz & divers autres firent honneur par leurs commentaires à la doctrine d’Aristote. Ils l’enseignerent en Afrique, à Cordoue, où ils établirent un collége, depuis qu’ils eurent conquis l’Espagne ; & les Espagnols apporteront en France les commentaires d’Averroëz & d’Avicenne sur Aristote. Ses livres y étoient déja connus. On enseigna sa doctrine dans l’université de Paris ; mais Arnaud voulant soutenir des opinions particulieres, sur les principes de ce philosophe, fut condamné d’hérésie par un concile tenu en la même ville l’an 1210. Les livres d’Aristote y furent brûlés, & la lecture en fut défendue, sous peine d’excommunication. Depuis, sa métaphysique fut condamnée par une assemblé d’évêques, sous Philippe Anguste. L’an 1215 le cardinal du titre de S. Etienne, légat du saint siége apostolique confirma les mê-