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Néanmoins, Delbarre, en signant une décharge, obtint de pouvoir emmener différents objets afin de les examiner de plus près…

— Ne nous désolons pas, dis-je à Delbarre, tandis que nous sortions de l’hôpital… Ce n’était sûrement pas lui le criminel.

— Vous êtes formidable ! explosa-t-il… On dirait que vous cherchez à écarter toutes les possibilités de vous dégager de l’accusation…

Je bondis…

— Moi, mais au contraire, je donnerais je ne sais quoi pour trouver le fil de l’énigme… mais le bon, le vrai… Pas une piste qui nous égare pour qu’ensuite nous nous retrouvions encore plus ignorants… Vous semblez oublier, inspecteur, que je suis plus que vous, directement et fortement intéressée au résultat…

Il ne répondit pas à me dernière phrase et s’éloigna, en me disant au revoir du bout des lèvres…

Rentrée chez moi, je m’attaquai à mon papier quotidien… J’estimai qu’il était encore prématuré pour parler de notre visite à Beaujon… Cela ferait le fond de l’article de demain, J’aurais le temps de l’étudier soigneusement. Et je commençais à taper avec une fureur nerveuse, sur ma machine, une sorte d’étude physiognomonique de la victime :

« QUELLE ÉTAIT LA VÉRITABLE PERSONNALITÉ DU MYSTÉRIEUX PIANISTE ? »

…Je parlai de sa personne en général, de son aspect, me laissant petit à petit entraîner par la fièvre de la description, la force de mon imagination…

« …à voir ses mains dures, aux doigts carrés, aux ongles soignés, il est vrai, on pouvait à peine croire que posées, ainsi, sur le clavier, elles fussent capables d’en tirer de douces harmonies. C’étaient dans tout leur aspect des mains d’aventurier, d’homme chez lequel le luxe et le plaisir côtoient le vice et le drame crapuleux… Un de ces hommes tour à tour trafiquant de drogues, de femmes… Son visage portait buriné la déclaration même de son identité… On se le représentait fort bien les yeux perçants, les lèvres soulignées d’une de ces fines moustaches noires dont l’ombre atténuait le pli à la fois amer et cruel de ses lèvres trop minces…»

Je continuai ainsi, puis, lorsque j’eus évalué le lignage, le trouvant suffisant, je m’en fus porter ma « copie » au journal…


CHAPITRE V

Je ne sais pourquoi, à peine ma copie eut-elle été remise à la composition, que je regrettai presque de l’y avoir laissée. J’avais comme la prescience que j’avais écrit quelque chose que je n’aurais pas dû…

Je m’attardai un moment au bar du journal, fis quelques courses dans les magasins et rentrai chez moi où l’on commençait à crier la première édition.

J’en achetai un numéro et lus posément mon article chemin faisant… Tous les journalistes savent combien un article, une fois