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passait. Trois heures sonnèrent. Je commençai à reprendre confiance, quand je sursautai. La sonnerie de l’entrée venait de retentir. J’hésitai un instant avant d’aller ouvrir. Je savais en face de qui j’allais me trouver… Je tentai de prendre une contenance !

Mon instinct ne m’avais pas trompé. C’était bien l’inspecteur Delbarre. Il me salua aimablement, entra. Je lui offris un siège ; il s’assit. Une cigarette, il l’accepta.

Enfin, il tira lentement le « Soir » de sa poche. Mon cœur cessa de battre…

— Félicitations pour votre article de ce soir, me dit-il avec un sourire que j’estimai ironique… décidément, vous êtes une très fine psychologue. Vos déductions sont étonnantes…

— Oh ! fis-je, quand on a un tant soit peu étudié la physiognomonie, on arrive à des constatations extrêmement curieuses…

— En effet ajouta-t-il.

— À propos, repris-je, avez-vous relevé des empreintes digitales sur ma hache…

Il haussa les épaules.

— Allez donc relever quelque chose sur un bout de bois qui porte des douzaines d’empreintes toutes différentes… Depuis les vôtre jusqu’à celles, peut-être, des sauvages qui vous ont vendu cette armes… Il y a des traces de doigts larges comme des pièces de vingt francs… Ça devait bien serrer, des pattes comme ça… Et, continua-t-il, revenant à la question… rien qu’en me considérant, vous pourriez, aussi facilement, deviner mon caractère… comme Sherlock Holmes ?

— Parfaitement…

— Dites, cela m’amuserait…

Je fis contre mauvaise fortune bon cœur. Étudiant rapidement ses mains, son visage, je traçai de lui un portrait moral qui eut le don de le faire sourire :

— Pas mal, en effet ! Vous avez un certain talent dans ce genre… Mais, dites-moi, croyez-vous que si je portais une moustache… vous savez une petite moustache noire comme celle à laquelle vous faites allusion dans votre article, cela changerait quelque chose à ma… comment dites-vous ? Physio…gno…mo…nie…

Je dus pâlir. Delbarre était un policier plus subtil que je ne l’avais imaginé. Il avait parfaitement buté sur l’obstacle. La moustache !

— Cela ne changerait absolument rien, répondis-je, très maîtresse de moi.

Alors, il se pencha de mon côté et, comme s’il eut craint qu’on l’entendit, me murmura dans un souffle :

— Allons, dites-moi pourquoi il jouait du piano ?

— Que voulez-vous insinuer ? balbutiai-je. Vous savez bien que j’ignore tout…

Il se leva brusquement et me saisit le poignet. Ses yeux s’attachaient aux miens. Sa voix se fit dure, brutale. Il me secoua assez rudement :

— Allons, dis-moi pourquoi tu l’as tué ? Assez duré la comédie,