Page:More - L’Utopie, trad. Stouvenel, 1842.djvu/188

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« En effet, le plus morose et le plus fanatique zélateur de la vertu, l’ennemi le plus haineux du plaisir, en vous proposant d’imiter ses travaux, ses veilles, ses mortifications, vous ordonne aussi de soulager de tout votre pouvoir la misère et les incommodités d’autrui. Ce moraliste sévère comble d’éloges, au nom de l’humanité, l’homme qui console et qui sauve l’homme ; il croit donc que la vertu la plus noble et la plus humaine en quelque sorte consiste à adoucir les souffrances du prochain, à l’arracher au désespoir et à la tristesse, à lui rendre les joies de la vie, ou, en d’autres termes, à le faire participer à la volupté.

« Et pourquoi la nature ne porterait-elle pas chacun de nous à faire à soi le même bien qu’aux autres ? Car, de deux choses l’une : ou une existence agréable, c’est-à-dire la volupté, est un mal, ou elle est un bien. Si elle est un mal, non seulement l’on ne doit pas aider ses semblables à en jouir, mais encore on doit la leur enlever comme une chose dangereuse et criminelle. Si elle est un bien, l’on peut et