Page:Morelles - Les diamants de Kruger, 1906.djvu/144

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 142 —

serait fini, ce serait le bain de l’équateur, et, enfin, le clou. Vers minuit moins le quart, la vitesse ne dépassait pas deux nœuds ; le navire semblait glisser et amollir son élan comme pour atterrir à quelque côte merveilleuse, quelque terre inconnue où s’apaiseraient les douleurs et les misères de la vie. Il y avait vaguement de cette impression dans les regards des danseuses et des danseurs lassés, dont les groupes disséminés sur le pont attendaient l’heure de minuit. Un coup de sifflet annonça les douze heures. À ce moment même les hélices cessèrent de tourner, le sillage s’effaça peu à peu, s’affaiblit et mourut insensiblement. Le grand silence de la nuit rendait plus intenses les mille bruits de la manœuvre, les pas précipités, à bâbord, où se balançait une sorte de nacelle captive suspendue par des câbles aux flancs du navire. C’étaient des rires, des appels criés du fond des salles presque vides, et cette masse arrêtée ainsi en pleine eau, immobile après avoir marché si longtemps, faisait penser à quelque monstre marin qui se serait reposé après avoir nagé des jours et des semaines du fond des océans polaires vers les rives lointaines des continents.

Wigelius et Stenson étaient accoudés près de la nacelle et, silencieux, ils contemplaient la scène. Le premier semblait essayer de remplir pour toujours de cette lumière généreuse ses yeux accoutumés aux journées grises, aux horizons ternes et mélancoliques du nord ; l’autre avait sur le visage une tristesse profonde que la joie environnante ne pouvait faire disparaître. Sa bouche close semblait vouloir s’ouvrir pour des confidences ; il lui aurait été doux de s’épancher, de se soulager le