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Stenson effleurant son front, l’avait mouillé, et quand il releva la vue sur cet ami à qui il devait tant, il comprit que l’acte de courage et de dévouement qu’il venait d’accomplir avait creusé un abîme entre eux. De son côté, Stenson vit pourquoi Pierre n’avait pas saisi tout de suite le sens de ses paroles. Tous deux, chacun de son côté, ils se dirent : « Il l’aime, lui aussi ». « Merci pour elle, » avait balbutié, ensuite, Stenson. Pierre souffrait et, comme s’il eût eu déjà des droits, non pas à la reconnaissance, mais à l’amour de Berthe, sa souffrance était complexe : il y entrait de la jalousie, de la colère et du regret — regret de voir une telle amitié se briser en un instant et sans que la volonté de l’un ou de l’autre y eût contribué. Le bonheur pour lui n’existait que dans l’amour de cette femme, et au moment où, par sa valeur, au péril de sa vie, il avait fait naître chez elle un sentiment qui n’était peut-être qu’endormi, un étranger — son ami n’était plus maintenant qu’un étranger — venait lui dire : « Merci de ce que vous avez fait pour elle, pour celle qui est à moi. »

Wigelius, toujours si indifférent à toutes choses, devina tout de suite le drame qui se jouait dans l’âme de ces deux hommes ; cette masse de chair fut remuée par l’immense douleur dont l’effluve semblait s’être dégagé d’eux. Il eut peur que cette amitié si belle et si bonne ne fût détruite à jamais. Ces trois hommes étaient indispensables l’un à l’autre ; depuis relativement longtemps ils avaient éprouvé le besoin de se voir tous les jours, de se confier leurs secrets ; et la fatalité allait briser pour toujours ces beaux liens. Ils étaient là, tous les trois debout, osant à peine se