— Moi, c’est la première fois que j’en entends parler ; où prenez-vous ça, docteur ?
— Dans ton dos, naturellement.
— C’est pourtant vrai, fit l’autre, en se tâtant le dos. Que voulez-vous que j’y fasse ? On ne sait pas ce qui peut arriver ; peut-être serez-vous bien content d’être avec un bossu, ça porte chance. En tous cas, je n’aurais pas fait un bon soldat, j’ai aussi bien fait de ne pas rester à bord.
— Sais-tu, interrompit Dolbret, que je commence à avoir l’estomac creux, toi ?
— Oh ! pas le moins du monde, j’en ai vu bien d’autres, quand je naviguais sur la rivière Plate (La Plata).
— Tout de même, est-ce que tu n’as pas pris du pain, comme je te l’avais demandé ?
Sans répondre, Labbé ôta son veston, puis s’approchant de Dolbret, à reculons, il lui dit :
— Prenez ma bosse.
Pour ne pas gêner ses mouvements, P’tit-homme, avant de partir, avait passé une ficelle par le milieu d’un gros morceau de pain, se l’était attachée au cou et avait remis son veston par-dessus. Dolbret rit de bon cœur et mangea encore de meilleur appétit. Pourtant le pain n’était pas fameux et il était bien sec.
— Sais-tu, mon homme, que c’est amusant une aventure comme celle-là ; c’est dommage que ça ne dure pas plus longtemps. Dire que nous serons à Sainte-Luce demain matin et qu’il faudra reprendre le train-train bête de la vie
— Hum ! ce n’est peut-être pas aussi fini que vous le pensez.
— Tu crois ?