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Page:Moreno - Reconnaissance de la région andine, 1897.djvu/104

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chant aux racines pour ne pas glisser. Sur ce point, le plus élevé de la montagne, je fis monter quelques individus, lesquels bientôt m’avertirent, par de grands gestes, que nous étions déjà à la sortie de la Cordillère, et qu’à l’est seulement on voyait deux monts isolés, tout le reste de la région étant constitué principalement par des terrains ondulés. Encouragé, je montai jusqu’au point où ils se trouvaient, et reconnus qu’en effet, nous étions au pied du versant oriental de la Cordillère.

« Au devant de nous, on apercevait seulement à peu de distance deux sommets isolés, dont le plus rapproché, élevé de quatre cents mètres, se trouvait à environ trois milles et avait sa partie supérieure dénudée et striée horizontalement ; le second était plus éloigné et moins élevé. Les autres terrains consistaient en coteaux ondules, couverts de bois épais, mais l’atmosphère très dense limitait notre vue à moins de dix milles. À nos pieds, le fleuve encaissé entre des bords escarpés de cinquante mètres de hauteur, se dirigeait à angle droit vers le sud jusqu’à une pointe de la Cordillère située à environ deux milles, puis, rectifiant son cours à l’est, se perdait dans cette direction, paraissant passer au pied du mont strié… »

« 20 décembre. — Pluies. — Quelques uns des nôtres s’occupèrent à construire un radeau pour traverser le fleuve et éviter au retour les derniers accores, car nous avions remarqué que sur la rive opposée les terrains étaient plats sur une distance considérable. Le reste du personnel s’occupait à raccommoder ses vêtements. Nos figures étaient déjà si lamentables qu’on nous eut pris pour des mendiants et, d’après l’armement, pour des bandits en déroute ; nous nous trouvions, en outre, tout défigurés et pleins de contusions ; et pourtant l’allégresse se peignait sur tous les visages. Nous avions atteint le but de tant de privations et de travaux, car nous avions traversé la grande chaîne des Andes, par le 45° de latitude sud, prouesse que jusqu’à présent personne n’avait exécutée, et d’autant plus remarquable que chaque pas avait été une découverte, sans aucun renseignement antérieur qui pût nous guider, car où il n’y a pas d’habitants, il n’y a pas non plus de vestiges ni de traditions. En entreprenant l’expédition nous savions seulement que la Cordillère des Andes avait des limites, et nous y étions arrivés.

« J’estime, en conséquence, qu’ayant traversé plus de cent milles de Cordillère avec les seules ressources d’un navire et sans bêtes de somme, sans aucun secours, et en transportant, à dos d’homme, à grande distance, nos vivres et nos effets,