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le souvenir : le cône blanchâtre du Lanin au milieu des éclaircies du feuillage obscur des vieux de la forêt, et la même humble source où je me reposai avec mon bon compagnon, le chef Nahuelpan[1] pour déjeûner avec des pignons et des fraises (planche VIII). Lors de cette visite, les indigènes me dirent que le sommet neigeux s’appelait Pillan ou Quetrupillan, et je le décrivis ainsi ; mais plus tard j’ai reconnu mon erreur. Le Quetrupillan, « montagne tronquée », se trouve un peu plus à l’ouest et n’est pas visible d’ici.

La rivière encaissée Pichi-Nahuelhuapi qui déverse ses eaux dans l’Aluminé n’a pas droit à ce nom, quand même il lui est donné dans quelques cartes géographiques. Il n’appartient qu’à la lagune où il prend sa source ; la rivière est anonyme, mais le passage scabreux et caché (750 m.) est dénommé par les indiens Huahum.

Nous campâmes, cet après-midi, dans la petite vallée de Huahum (900 m.) que les indigènes appellent aussi Pilolil à cause de quelques roches à cavités profondes situées sur la rive gauche de l’Aluminé, où la rivière débouche de la vallée. Je découvris sur ce point des terrains sédimentaires, mais il ne me fut pas possible d’en déterminer l’âge, car le temps me fit défaut pour rechercher des fossiles.

Le 27, de bonne heure, je m’engageais dans le pittoresque chemin indigène que j’avais parcouru si souvent auparavant, et en peu d’heures, j’atteignis la pampa du Malleco ou Rio Malleu, où, à l’abri du promontoire andésitique de Pungechaf, campait en 1876 la tribu de Ñancucheo.

C’est dans ce passage même que j’eus, cette année-là, connaissance de la grande invasion dans la province de Buenos Aires, qu’avaient projetée les indiens soulevés par Namuncura et Catriel, et c’est de là que je résolus mon retour immédiat pour Buenos Aires, afin d’avertir de ces préparatifs ; un rude galop de Caleufu jusqu’à Carmen de las Flores me permit de jeter le cri d’alarme, trois jours avant que ne s’effectuât la terrible invasion qui désola le sud de la province. De tout ce campement il ne reste que des ossements carbonisés et les pierres calcinés des foyers, mais j’aurai toujours présent à la mémoire les pittoresques groupes de tentes et les fêtes de la nubilité auxquelles j’assistai alors, et à l’évocation de tels souvenirs, je me vois me retournant et me roulant sur les coussins

  1. Fusillé en 1882 dans la plaine de Maipu, dans une de ces heures sombres de cette époque de lutte où l’on n’a pas toujours agi avec justice.