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montraient inquiets de la caravane qui approchait. La cause de cette agitation était le grave état de Curuhuinca, si grave qu’on me dit que je ne pourrais pas le voir. Cependant je pénétrai dans son rancho-toldo (cabane-tente). L’énorme cacique était couché sur le sol, entouré de sa famille et gémissait continuellement ; mais peu de paroles suffirent à le réanimer. Les vieux se demandaient : Qui est cet homme qui pénètre ainsi dans la maison et parle de cette manière au chef bien-aimé, le consolant dans la pénible crise qu’ils croyaient mortelle ? L’air pleureur, gémissant de cette masse, avec des modulations d’enfant, était affligeant. Avant de lui dire qui j’étais, je m’informai de sa maladie. Il s’agissait simplement d’une terrible indigestion de vesces qui durait déjà depuis trois jours, et jeunes et vieux, femmes de tout âge, s’insinuant entre les objets de toute nature : peaux, toiles et paniers suspendus au plafond, qui obscurcissaient cet antre peu agréable à l’odorat, écoutaient avec attention le médecin inattendu ; leur surprise augmenta quand ils surent que cet étranger n’était rien moins que l’homme que fit prisonnier Shaihueque, et qui s’échappa sans qu’on n’ait jamais su comment. Le nom de Moreno était accompagné des ah ! des jeunes et des vieux, et Curuhuinca, au milieu de vomissements et de contorsions, trouva les forces pour me dire qu’il s’était opposé à ce que la terrible sentence du cacique Chacayal s’accomplit.

Shaihueque et Ñancucheo m’avaient dit plus d’une fois qu’au pied de la Cordillère, au passage du Chili, il y avait des caciques qui cultivaient la terre et que l’un d’eux était Curuhuinca. Les familles indigènes groupées autour de lui cultivent la terre : les blés enclos que nous apercevions témoignent de leur activité ; en outre, les femmes tissent, et avec toutes les ressources de cette humble ruche, ils commercent avec Junin de los Andes et Valdivia. J’appris que tous les légumes qui se consommaient à Junin provenaient des cultures des habitants de Curuhuinca, des champs de Trompul et de Pucara, près du lac Lacar, situé à quelques deux cents mètres des ranchos, et sur la rive duquel nous établissons un campement sous un bois de pommiers centenaires, après avoir administré au maître de céans une bonne dose de sel Epsom. J’avais accompli ce jour-là un des objets de mon voyage.

Je ne pus jouir que quelques heures du tranquille paysage du Lacar (680 m., planche IX, fig. 2). Je dus employer tout le bel après-midi à préparer les instructions relatives aux opérations que devaient effectuer Wolff, Zwilgmeyer et Hauthal au