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Tous les voyageurs cités sont parvenus au lac par le versant chilien.

Du 20 au 22 janvier 1876, je pus jouir de la magnificence du Nahuel-Huapi ; mon assistant et moi nous sommes les premiers blancs qui, de l’Atlantique, soient arrivés à boire ses eaux limpides ; mais alors je n’avais atteint que sa rive nord. Je m’étais donc promis de visiter ses rives compliquées du sud et de l’ouest. Le rideau de brumes, qui couvrait pendant la nuit du 18 janvier 1880 la grande scène de cette nature puissante, au lieu de se lever d’une manière uniforme devant nos yeux qui ne voulaient pas perdre le moindre détail de la décoration, se déchira en tourbillons de tulles acérés et roses.

Nous donnâmes un peu de repos aux chevaux et dès que fut passée la première impression d’admiration, nous tâchâmes de voir le fond de la vallée qui s’étendait à nos pieds, à travers l’édredon de nuages froids et blanchâtres que les premiers feux du soleil levant ne doraient pas encore. Tout dormait ; seules les eaux lointaines au fond des grandes baies se berçaient mollement ; de ténus fils d’or brillant ourlaient de zigzags fantastiques les crêtes neigeuses andines qui se détachaient sur l’azur discret, tandis que la base était enveloppée par de grands strates de nuages plombés plus ou moins épais et au milieu desquels nous distinguions les cimes des cyprès. Quelques moments après, de légers flocons de brume commençaient à s’élever et à se dissiper en atteignant la zone où nous étions, et où soufflait déjà le vent de la pampa provoqué par l’aurore, et l’apparition, sur la ligne sombre des plateaux volcaniques, du soleil dans toute sa magnificence, éclaira cet ensemble grandiose, et détacha, au milieu des jeux de lumières et d’ombres, les reliefs du terrain, des eaux et des forêts avec la netteté particulière à un beau jour austral.

Ce n’est qu’alors que nous pûmes nous orienter sur le versant escarpé, et, en arrivant au pied, nous nous trouvâmes à l’improviste au milieu d’un petit campement indien, occupé par quelques araucans et valdiviens. Ils étaient justement livrés à une de ces bacchanales si communes sur les versants des Andes, quand au printemps la fonte des neiges permet le passage des aucaches, commergants de l’horrible eau-de-vie de Tolten. Deux de ceux-ci étaient arrivés cette nuit-là avec quatre barriques, destinées à l’achat de chevaux dans les tolderias de Inacayal, et qui avaient été confisquées par un lieutenant de Shaihueque.

Nous restâmes à peine quelques minutes dans les toldos et