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Page:Moreno - Reconnaissance de la région andine, 1897.djvu/74

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rives, de grands pieux travaillés, avec des marques de hache et de foret très anciennes. Ces pieux et d’autres que j’observai durant l’excursion de ce jour-l), formèrent, peut-être, il y a des années, les radeaux des missionnaires jésuites qui maintenaient par là des Communications avec le Chili.

Je n’ai pas le moindre doute d’avoir trouvé, ce jour-là, le fameux « Paso de Bariloche » ; toutes les notices anciennes que j’ai examinées concordent parfaitement avec mes observations. Le chemin des jésuites côtoyait ce lac (que ne mentionnent pas, il est vrai, les anciennes chroniques qui ne contiennent que des détails insignifiants sur le paysage) ; il gravissait une basse montagne et descendait au couchant des Andes probablement au lac Calbutué, étudié par le capitaine Vidal Gormaz qui mentionne, à l’orient du dit lac, une grande gorge par où passe le chemin en question. C’est ainsi qu’un chilien et un argentin ont signalé les deux sections extrêmes de l’ancien chemin qui, une fois rétabli, mettra en communication les deux pays, et établira de très importantes relations commerciales. Une des plus grandes compensations de ma vie de voyageur a été cette découverte, en songeant aux avantages énormes qu’elle pourra rapporter quand la civilisation explorera en détail ces régions.

Je marchai dans l’eau cristalline en suivant le bord du précipice inondé, l’unique chemin qu’il fallait suivre presque à la nage, obstrué qu’il était par de grands troncs submergés et des blocs erratiques. Quand il fut impossible d’avancer à cheval, je laissai ma monture dans une clairière, et pénétrai, avec l’assistant, pendant trois heures, dans cette forêt splendide que masquaient les roches du versant. Les arbres les plus élevés étaient brûlés, et d’après les indigènes que je consultais plus tard, l’incendie provenait du Chili, puisque eux-mêmes n’avaient jamais pénétré jusque là. À cinq heures de l’après-midi, il était déjà impossible d’avancer à travers les arbres, les bambous et les troncs corpulents pourris de l’intérieur, d’où jaillissaient des sources. Nous n’avions pas de hache pour nous ouvrir le passage, et plusieurs fois nous dûmes nous frayer un passage au-dessus des tiges entrelacées des bambous.

De ce point-là, à deux cent cinquante mètres au-dessus du petit lac, nous n’apercevons plus de montagnes à l’ouest ; le lac s’étendait dans cette direction sans que nous pussions voir son extrémité, et ses rives continuaient d’être bordées par des collines élevées qui précédaient de grandes montagnes neigeuses.

Ce ne sont donc pas les rochers ni les neiges qui empê-