Page:Moreno - Reconnaissance de la région andine, 1897.djvu/80

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— 78 —

par laquelle, aux temps glaciaires, fit irruption un des bras du glacier colossal qui a modelé toutes ces vallées préandines. Les moraines situées à diverses hauteurs indiquent les alternatives d’envahissements, de retraits et l’épaisseur du glacier, et sur le gradin supérieur du massif volcanique qui précède la brèche d’Apichig (960 m.), à cinq cents mètres au-dessus de la plaine, on observe, parmi de plus petits, un beau bloc erratique de granit qui mesure neuf mètres de long, six de large et cinq de haut. De là, on a une fort belle vue : des plateaux au paysage banal que l’on achève de gravir, on passe, sans transition, au revers de ce parage monotone ; les prés reverdissent jusqu’aux flancs des montagnes boisées, et la gorge basse de l’ouest, qui correspond à la cluse transversale d’Apichig, laisse voir au couchant une ligne de montagnes couronnées de fils neigeux, aux versants couverts de forêts dans lesquelles le jaune a été remplacé par le vert dans toutes ses tonalités.

Là se ferme à peu prés complétement la grande vallée longitudinale du sud, qui s’étend depuis les moraines de Sunicaparia, en face du Tecka, jusqu’aux ruisseaux dont les mille lacets au milieu des arbres et des herbages laissent apercevoir, de place en place, leur eau limpide qui miroite au soleil comme des paillettes d’argent sur un velours végétal verdâtre et forment les sources du principal affluent nord du Rio Chubut, qui pourrait s’appeler Rio Maiten, nom de la ferme établie sur la rive.

C’est dans cette gorge que j’ai campé en janvier 1880, et là tomba malade mon bon guide, le pauvre indien Hernandez qui mourut dans les toldos voisins, victime de sa confiance en la guérisseuse de la tribu. Beau sujet, pour un Jacques, le troupeau de moutons pampas que je vis à cette époque-là prés des toldos, se détachant en blanc avec leurs longues toisons tachetées d’or par les rayons du soleil qui étincelaient sur les neiges fraîchement tombées sur la crête altière lointaine, tandis que sur nous il pleuvait nuit et jour, grâce à un violent orage de l’ouest, qui, en se précipitant par la gorge andine du Puelo, nous arrivait du Pacifique.

Le bosquet de ce triste campement avait été brûlé, et les tolderias disparu avec leurs habitants, dispersés aux quatre vents. Pauvres indiens qui n’ont jamais fait de mal à personne et qui n’ont commis d’autre crime que celui de naitre indiens !

Dans la terrible guerre faite aux indigènes, on n’a pas commis peu d’injustices et avec la connaissance que j’ai de ce