Page:Morice - Aux sources de l'histoire manitobaine, 1907.pdf/118

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— 119 —

tion ; aux États-Unis tout groupe de cette nature n’est-il pas après tout un rassemblement d’étrangers sans espoir national, un îlot dans l’océan, battu par la tempête des antipathies raciales et condamné à disparaître sous la pression de forces qui sont irrésistibles parce qu’elles disposent du pouvoir souverain ?

L’auteur de la critique en question regrette lui-même qu’une « propagande néfaste [empêche] les nôtres de se faire naturaliser. » C’est-à-dire qu’il préconise ni plus ni moins le suicide national pour les émigrés des États-Unis, circonstance qui se passe de tout commentaire.

Quant à la langue, je ne crois pas me tromper beaucoup en affirmant que sa préservation et son influence dans ce pays subissent aujourd’hui un mouvement de recul dont on peut facilement prévoir l’issue. « Nous avons ici, en ville, une forte colonie de Canadiens-Français, » écrit une émigrée à un journal de Montréal : « mais ils ne font que baragouiner leur langue. Ils ne parlent le français que le moins possible et affectent de parler l’anglais. Ils vont jusqu’à changer leur nom pour un nom anglais »[1]. La correspondante ajoute que, dans le centre d’où elle écrit, Oswego, État de New-York, « le travail d’américanisation se fait rapidement », et elle prédit l’abolition du français à courte échéance.

Un autre individu écrit peu après dans le même périodique pour faire parade de son apostasie nationale. Sa lettre n’est qu’une tirade contre le Canada et un panégyrique des États-Unis. S’adressant à ses compatriotes restés fidèles à la patrie canadienne, il a le courage de s’écrier : « Voyez-vous, le meilleur pour vous autres c’est de devenir américains, car vous êtes incapables de vous gouverner et de faire fructifier les ressources de vos richesses naturelles »[2].

  1. L’Argus, 17 septembre 1907.
  2. Ibid., 3 octobre 1907.

    Ce qui précède était écrit et allait prendre le chemin de Québec, quand m’est arrivé un journal de l’Ouest d’où j’extrais ce qui suit : « Plusieurs des familles canadiennes-françaises de Saint-Émile de Legal viennent des États-Unis. À leur arrivée dans l’Alberta, un grand nombre des enfants, des États-Unis, parlaient à peine le français. Aujourd’hui M. le Curé nous dit que tous parlent parfaitement le français. Cet événement seul prouve bien que nos compatriotes ne perdent pas leur nationalité dans les provinces de l’Ouest, mais au contraire ceux qui l’ont perdue aux États-Unis la retrouveront dans l’Alberta ». Le Courrier de l’Ouest, 16 janvier 1908.