Page:Morice - La Littérature de tout à l’heure, 1889.djvu/108

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foucauld à La Bruyère. Ces titres-mêmes, Les Maximes et Les Caractères, sont assez expressifs. La Rochefoucauld a tous les défauts de son genre et de son génie. En lui l’inspiration classique réduite à sa dernière expression se stérilise. Son point de vue est étroit, son esprit est aigu, plus piquant que pénétrant. Sa peur du grand le fausse. C’est un écrivain et un homme qu’on ne peut aimer et de qui l’influence sur l’avenir est nulle : plutôt tourne-t-il le dos à l’avenir. La Bruyère le regarde en homme qui l’aimerait, en penseur qui le comprendrait, en écrivain qui en a le pressentiment. Le style du XVIIe siècle, presque partout ailleurs lent et majestueux, fixe comme son objet, s’agite chez La Bruyère, s’amenuise, se rajeunit. Il n’a pas le souci du monde extérieur, mais on dirait qu’il voie les esprits, qu’il leur connaisse une forme, un costume, des gestes ; pour lui seul, en son temps, le visage humain consiste en autre chose que seulement ses traits et n’est pas que le masque de l’âme : il en serait l’expression. La Bruyère soupçonne la physionomie, devine entre la passion et le rire ou les larmes qu’elle excite un écart et un rapport, — moderne en cela. Et puis on le croirait moins rigoureux qu’un autre aux faiblesses, plus compréhensif des intentions. S’il n’a pas précisément le sens du pittoresque il a une qualité toute voisine, le sens d’un ridicule qui n’est pas comique, qui n’est pas convenu, qui perd