— Il est même triste de constater que
La Fontaine, devant ce prodigieux spectacle de la
surnaturelle et multipersonnelle vie de la nature, se soit
réduit à l’égoïste point de vue humain. Il est
bien d’un siècle qui ne soupçonnait pas qu’on pût
destituer l’Homme de la place royale qu’il s’était
arrogée au centre de l’univers. Que de temps il
faudra, que de découvertes scientifiques, que de
révolutions sociales, que d’évolutions artistiques
et littéraires, pour que l’homme en vienne à
concevoir l’invisible et formidable vie universelle où
sa vie propre se perd comme l’unité dans l’infini !
Pythagore en avait eu le frisson et Kalidasà aussi,
qui savait entendre le cantique des regrets dont
le mimosa et le lotus bleu déploraient Sakountalà
partie. Mais ces Mages sont si loin de nous dans
l’insondable Autrefois que leur date et leur
doctrine se confondent à notre regard avec les
brumes où se lèveront les soleils futurs. À la date, du
moins, où écrit La Fontaine, il nous faut attendre
près de deux fois cent ans pour que l’humanité
retrouve ce sentiment du Mystère qui est pourtant
le fond vivant de la Poésie, — il nous faut attendre
près de deux fois cent ans ce vers de Lamartine :
- Adore ici l’écho qu’adorait Pythagore,
- Adore ici l’écho qu’adorait Pythagore,
ce vers de Gérard de Nerval :
- Crains dans le mur aveugle un regard qui t’épie,
ces vers de Baudelaire :
- La nature est un temple où de vivants piliers