Page:Morice - La Littérature de tout à l’heure, 1889.djvu/146

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écrites aux mêmes dates. Pourquoi Byron fut-il aussitôt célèbre tandis que Shelley[1], du moins pour la France, était, il y a dix ans, un poëte nouveau ? C’est que Shelley n’est de son temps ni par la nature de ses pensées, ni par la forme qu’il leur donnait. Comme Pascal, de qui pourtant il apparaît si loin, Shelley est notre contemporain. Non que son œuvre soit sans erreurs, — je veux dire concorde tout entière avec les croyances de notre heure, — mais ses erreurs ont de profondes racines dans les vérités relatives, dans les relations des vérités successives. La haine de la religion — en général — est un peu déclamatoire et nous blesse : « Ô religion ! prolifique monstre qui peuples la terre de démons, l’enfer d’hommes et le ciel d’esclaves ! » Mais, à sa date, cette haine avait ceci d’éclairé qu’en effet les plus grands maux de la société lui venaient des trop rigoureuses entraves où l’enfermait, nous l’avons vu, le christianisme mourant. Son expression exagère et compromet un peu sa réelle pensée, mais cette pensée est juste et bienfaisante, dans les limites où elle traduit l’urgente nécessité de la délivrance spirituelle.

Et puis Shelley, à la différence de tous ces poètes

  1. M. Gabriel Sarrazin, dans un livre qui va paraître, La Renaissance de la Poésie anglaise, nous donne enfin sur Shelley l’étude complète que nous attendions depuis longtemps. Lire aussi le volume biographique de M. Rabbe, dans sa traduction des œuvres du poëte de Promethée.