Page:Morice - La Littérature de tout à l’heure, 1889.djvu/153

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

négatif, c’est bien plutôt la souffrance noble d’une âme qui connaît l’écart de ses aspirations à ses capacités. Werther, René, Adolphe enseignent la lâcheté. La Confession ne mire que la douleur et nous apparaît — point de vue que les admirateurs mêmes de Musset ont trop négligé — comme le chef-d’œuvre d’un aigu et dolent moraliste. — Musset resta toujours à l’heure et avec les sentiments de sa Confession, une heure navrante, des sentiments d’impuissance, — la conscience du désespoir. Et Musset — qui a beaucoup des vices et toutes les qualités du génie français — fut logique comme ce génie. Ne pouvant s’acquérir par quelque bel effort l’estime de lui-même, il ne se consola point de se mépriser et le désespoir le conduisit au lent suicide. J’admire ce suicide, combien plus que la majestueuse destinée et la vieillesse glorieuse d’Hugo. Si, comme Hugo, Musset avait pu se contenter d’une apparence quelconque de la Vérité ou si, comme Gœthe, il avait eu le courage de regarder au fond des choses, il eût accepté la longueur de la vie : il n’eut ni cette mauvaise foi ni cet héroïsme. Sa mémoire est triste et charmante. On aime sa gaîté folle, on l’aime d’autant plus qu’on sait qu’elle doit se résoudre en larmes, que ses chansons vont mourir en cette plainte :

Le seul bien qui me reste au monde
C’est d’avoir quelquefois pleuré.

On n’aime que chez lui ce Moyen Âge, tout aussi