Page:Morice - La Littérature de tout à l’heure, 1889.djvu/160

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irréprochable. Il ne discorde pas dans la phalange des stylistes impeccables. Il y a peut-être de l’ironie : on peut s’y attendre avec le mystificateur de La Guzla. Mais l’attitude ne se dément pas. Il a même été touché par l’influence scientifique. Au besoin et de hasard il fait intervenir un mobile physique. Il sait aussi le prix de la vie dans une œuvre d’art et il en donne une fort jolie illusion. Colomba, Carmen ne sont pas de convention pure, ni les paysages où elles vivent… Qu’est-ce donc, pourtant, qui fait que ces très agréables livres restent d’hier ? Qu’est-ce qui a manqué à Mérimée pour être un Poëte ? Quel est son défaut ? Son défaut est un excès d’intelligence. Il a la mémoire très bonne et un grand esprit de discernement. Il sait tous les mérites et tous les torts qu’ont eus ses prédécesseurs et tâche de retenir tous les uns, de s’épargner tous les autres. Il a l’oreille fine aussi et démêle assez bien le vrai du faux dans ce qu’il entend dire. Mais il ne devine rien. C’est un spectateur qui se mêle de jouer la comédie et qui la joue à merveille — sans génie. Ce n’est pas un héros, ce n’est qu’un témoin. Il est horriblement sec et froid. De quoi il a manqué ? De cœur. Son œuvre sent plus qu’une autre le passé précisément par sa relative perfection. Il y a des défauts qu’il est bon d’avoir, c’est le déchet nécessaire de la création : Mérimée ne les a pas ? c’est qu’il ne crée pas. — Il nous laisse l’exemple et l’avertis-