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et par ses vers, et M. Bouchor laisseront une trace.

M. Bouchor a mal débuté, par des choses dans le goût gros et bouffe de ses amis MM. Richepin et Ronchon. Aussi a-t-il eu tout de suite beaucoup de « succès ». Le succès l’abandonne progressivement, à mesure que le poëte s’élève. Les Poëmes de l’Amour et de la Mer ont un cent de lecteurs, L’Aurore en a une vingtaine, les Symboles n’en ont point : bon signe. Mais, destinée mélancolique ! comme M. Vicaire devait railler les jeunes poètes qui cherchent, M. Bouchor railla les aînés qui avaient trouvé, — et cela l’un et l’autre, non pas, rationnellement, en prose de théories et de doctrines, mais en vers. Le châtiment de M. Bouchor est, qu’en s’améliorant tous les jours, tous les jours il se rapproche davantage de ceux qu’il avait moqués. Je pense même qu’il va trop loin : occupé surtout de penser après n’avoir fait longtemps que rire, la pensée le captive trop ; l’artiste n’y gagne pas et, déjà dans les Symboles, on se demande souvent : pourquoi des vers ? et on pense quelquefois à la prose rimée de M. Sully-Prudhomme[1]. Le grand mérite de M. Bouchor, ce pour

  1. Je rencontre ce nom et je m’en délivre. M. Sully-Prudhomme n’est pas un poëte. Des trois actes qui décomposent l’action esthétique (Pensée, Idée, Expression) il n’accomplit que le premier. Même il l’accomplit très insuffisamment, ses abstractions se maintenant toujours dans les vieilles généralisations. Quant au « poëte » sentimental qui est l’autre face de ce « poëte » philosophe, je pense qu’il a déjà rejoint dans l’ingrate mémoire des hommes les faiseurs de romances du Premier Empire, et Reboul, et Dupaty ; ses tendresses sucrées, sirupeuses, sont vaines, en effet, et cet amant eut sans doute toujours la tête chenue. On dit qu’il y a encore en M. Sully-Prudhomme un poëte lyrique chargé de dire des vers officiels devant les statues nouvelles : Baour-Lormian l’attend au seuil du Paradis.