Page:Morice - La Littérature de tout à l’heure, 1889.djvu/27

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qui donne les conclusions effectives dont elle porte en soi les prémisses. — Et puis, selon la vieille et véritable parole, rien ne périt ; nul ne peut que ce qui fut n’ait pas été et rien n’a été qui ne soit éternel par son influence perpétuée dans la grande vibration totale. Les Poëtes créent, donc, pour informer d’éternité leurs rêves. — Secondairement, toutefois, une mission d’enseignement semble incomber à ceux qui détiennent cet instrument de toute éducation, la Parole, et la Parole ailée. « Songez, nous disent les moralistes, à ces frères plus jeunes qui espèrent de vous le pain spirituel. » Et la conclusion pratique des moralistes c’est que le Poëte doit à sa vocation de se mettre à la portée de tous, des masses, des petits… Spécieux argument ! Les écrivains des civilisations antiques pouvaient écrire pour tous, car tous, grâce à l’esclavage, tous se réduisaient à quelques privilégiés qui avaient des loisirs, — et alors pourtant les écrivains n’enseignaient pas, ils étaient les expression concentrées des croyances ou des préférences ambiantes, les secrétaires de leurs lecteurs[1], lesquels ne dépassaient pas les étroites limites d’une ville et ne permettaient pas davantage aux écrivains

  1. Je ne parle pas, bien entendu, des Poëtes exclusivement religieux, comme ceux des Hébreux, par exemple, prophètes et psalmistes qui, eux, écrivaient en effet pour tous, parce que, ce faisant, ils écrivaient aussi pour eux seuls, n’ayant comme la Foule qu’une préoccupation : Dieu.