Page:Morice - La Littérature de tout à l’heure, 1889.djvu/272

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ces inconnus qui n’ont titres ni œuvres et qui ne sont rien, mais qui savent mieux que personne faire jaillir de chacun ce qu’il a de meilleur. Et pourtant, malgré l’éternelle placidité souriante de leurs visages, ils ne sont pas heureux. Peut-être ont-ils le secret désir de produire, eux aussi : mais dans leur cœur se sont rencontrées et se maintiennent immobiles tant d’affirmations et de négations hétéroclites, qu’ils demeurent à jamais dans la situation que symbolise l’âne de Buridan ! Peut-être ont-ils le secret désir d’entrer dans la vie et d’être des hommes : mais ils sont retenus dans le Dilettantisme. Ils sont les Dilettanti.

J’exagérais : ils produisent. Mais ils produisent contradictoire. Ils ne pourraient parler deux fois de la même chose sans dire, la seconde fois, non, s’ils ont dit oui, la première fois. Et s’ils écrivent un long livre, c’est une si incohérente suite de contradictions flagrantes que le lecteur hésite : mystification ou folie ? Cependant la bonne foi du dilettante a toutes les meilleures apparences et, pour la solidité du jugement, chaque détail pris en soi en témoigne avec certitude. Non, le Dilettante est très sincère et très sage, il a précisément trop de sagesse pour ne pas voir du même regard le pour et le contre de chaque question et précisément trop de sincérité pour ne pas dire tout ce qu’il voit : s’il revient à l’affirmation après avoir nié, c’est qu’il aura, chemin faisant, trouvé quel-