Page:Morice - La Littérature de tout à l’heure, 1889.djvu/29

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

public de M. Daudet ne tarit pas de rires pour le public de M. George Ohnet et j’avoue pourtant mal saisir les différences, être même exposé, un jour que je serais pressé, trop pressé pour évaluer un plus ou moins d’adresse, à classer sous la même étiquette ces deux romanciers ; pourtant les lecteurs de M. Ohnet se croient des aristocrates auprès des clients de M. Fortuné du Boisgobey et si on m’affirme que ces derniers se gaussent des habitués de M. de Montépin, je n’en serai pas étonné. Qu’on y pense, ces classes de gens constituent des États dans la société, sont d’un patriotisme rigoureusement intransigeant, parlent des langues qui n’ont que d’apparents liens depuis longtemps rompus, ont des ldéals les uns aux autres inconnus ou hostiles, manquent d’intérêts communs, n’ont même pas une façon identique de goûter l’ordure, car les abonnés du Gil Blas ne sont pas ceux de la Vie Parisienne. Et c’est dans ce temps de confusion des langues, dans ce pays où il fallait bien que finit par s’ériger une parodie de l’antique Babel, c’est, dis-je, dans la France du XIXe siècle finissant qu’on parle d’écrire pour tous ! — Mais les moralistes donneurs de ce conseil pensent moins, j’imagine, à l’ensemble de nos contemporains qu’à la tourbe des petits qui languissent dans une ignorance dont nul n’a pitié et qui, peut-être, garderaient aux poètes la surprise d’une naïve obéissance, d’une reconnaissance toute neuve. Ecrire